Abu Mohammed al-Jawlani, leader du groupe terroriste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a suivi un parcours qui soulève de nombreuses questions. Comment un homme emprisonné par les Américains en Irak est-il devenu l’un des dirigeants les plus redoutés du djihadisme syrien ?
L’histoire commence en 2003, lorsqu’al-Jawlani, alors un jeune combattant islamiste, se rend en Irak pour rejoindre les groupes militants et combattre l’invasion américaine. C’est pendant cette période qu’il se fait remarquer par ses capacités de leader. Mais en 2005, sa carrière prend un tournant majeur : il est capturé par les forces américaines et emprisonné dans un centre de détention en Irak pendant cinq ans.
Sa libération en 2011 marque un nouveau chapitre. Le printemps arabe est en pleine effervescence, et après cinq années d’incarcération, al-Jawlani revient en Syrie. Ce retour, cependant, n’est pas celui d’un homme brisé, mais celui d’un leader en devenir. Il se rapproche alors d’Abu Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique, et devient un émissaire du groupe en Syrie.
Ce qui suit est tout aussi frappant : al-Jawlani prend la tête de Jabhat al-Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, qui deviendra l’un des groupes les plus puissants et les plus extrémistes du conflit syrien. En 2016, après des tensions avec al-Qaïda, il se dissocie et fonde Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe toujours plus radical, dominant dans le nord-ouest de la Syrie.
Le chemin d’al-Jawlani, de détenu américain à leader de groupe terroriste, témoigne de la manière dont des années de guerre et de captivité ont forgé un homme qui, loin de se soumettre, a émergé comme une figure de proue du djihadisme. Ce parcours inquiétant montre comment des institutions comme les prisons américaines peuvent involontairement contribuer à la radicalisation, en alimentant un sentiment de victimisation et de revanche chez certains détenus. Al-Jawlani n’est pas seulement un chef terroriste, mais un produit des guerres modernes, une guerre où les prisons et les réseaux djihadistes se nourrissent mutuellement.
Al Jawlani, une figure ?
Al Jawlani semble désormais être une figure incontournable du paysage politique et militaire syrien, c’est ce que l’on recent en tout cas à travers la presse. Après des années à diriger Hayat Tahrir al-Sham (HTS), son rôle dans le renversement du régime de Bachar Al Assad le 8 décembre a fait de lui un personnage complexe, oscillant entre l’image de « terroriste » et celle de potentiel libérateur. Cette ambiguïté laisse planer une question : Al Jawlani est-il un agent des États-Unis ?
Une ferveur ambiguë face à la chute du régime
La nouvelle du renversement d’Al Assad a suscité une ferveur parmi certains réfugiés syriens en Europe. Des célébrations relayées par les médias et des déclarations politiques saluant cette « libération » posent un paradoxe : comment peut-on se réjouir de cet événement alors que l’avenir de la Syrie est incertain ? Les précédents historiques, comme en Libye après la chute de Kadhafi, rappellent que la chute d’un « dictateur » ne garantit pas une paix durable, mais peut plonger un pays dans le chaos.
Al Jawlani : un terroriste devenu acteur politique ?
Al Jawlani, connu sous son vrai nom Ahmed al-Chareh, a évolué stratégiquement depuis 2014. Après avoir fondé le Front Al Nosra, affilié à Al Qaida, il a progressivement adopté un discours plus modéré pour se distancier de l’organisation État islamique. Cette manœuvre de « dédiabolisation » a permis à HTS de se positionner comme une alternative « responsable » aux groupes djihadistes les plus radicaux.
Des experts comme Thomas Pierret, chercheur au CNRS, considèrent toutefois que cette modération est purement stratégique. Malgré un semblant de politique plus inclusive — notamment en tendant la main aux chrétiens de la province d’Idleb — HTS reste accusé de crimes de guerre par l’ONU.
Manipulation ou libération ?
Certains voient dans l’ascension d’Al Jawlani une manipulation orchestrée pour servir des intérêts géopolitiques plus vastes. La durée de sa détention dans une prison américaine en Irak, puis sa libération, soulève des soupçons quant à une éventuelle collaboration. Son retour en Syrie au moment opportun et sa capacité à fédérer des forces contre le régime d’Al Assad alimentent cette hypothèse.

Pour les sceptiques, l’histoire d’Al Jawlani rappelle que les conflits modernes sont souvent marqués par des alliances temporaires et des intérêts cachés. Comme en Libye, où la chute de Kadhafi a laissé place au chaos, la Syrie pourrait connaître un destin similaire, malgré les promesses de « libération ».
Un futur incertain pour la Syrie
Alors que HTS tente de se légitimer, le peuple syrien reste pris au piège de ces jeux de pouvoir. La ferveur des réfugiés et des médias pourrait bien s’éteindre face à une réalité chaotique. La question demeure : Al Jawlani est-il vraiment un libérateur ou simplement un acteur dans un scénario écrit par d’autres ?
Une personne qui fait penser à une autre?

