Trésors égarés, histoires hantées
- La naissance d’un pillage organisé
- Trésors égarés, histoires hantées
- Le silence, la mémoire et le retour
- 1. Les bronzes du Bénin: le pillage orchestré
- 2. Le trône du roi Ghézo: symbole arraché
- 3. Le sabre d’El-Hadj Oumar Tall: une lignée dépouillée
- 4. La statue de la reine-mère Idia
- 5. Le trésor d’Abomey
- 6. Croix, bibles et manuscrits d’Éthiopie
- 7. Masques fang du Gabon: héritage volé, identité blessée
- Quand la spoliation vole l’âme et l’avenir de l’Afrique
- Bibliographie
Certains objets sacrés incarnent le centre de ce drame silencieux. Ainsi, le trésor de Ségou subit le sort le plus cruel. Le colonel Archinard l’a saisi en 1890, en emportant un sabre et des dizaines de bijoux d’or. Aujourd’hui, seules 22 pièces restent localisées en France ; malheureusement, le reste a disparu en silence. Les descendants d’Oumar Tall expriment douleur mais aussi impatience face à l’attente interminable. Ces dialogues intimes, recoupés lors de l’enquête de la journaliste Taina Tervonen, touchent au cœur (exemple vécu).
De même, de l’Éthiopie au Bénin, du Gabon au Cameroun, chaque artefact emporté crée un vide béant. De plus, des chercheurs de Benin Digital révèlent la complexité de l’histoire de ces bronzes disparus. Leur travail s’appuie sur des témoignages locaux précieux. Non seulement ces objets possédaient déjà une longue vie avant d’être exposés en Europe ; mais en outre, ils transportaient une mémoire collective irremplaçable (étude d’origine). Finalement, chaque histoire laisse un goût d’inachevé.
Le silence, la mémoire et le retour
Dès lors que ces œuvres disparaissent, la vie quotidienne des peuples s’en trouve bouleversée. Progressivement, les générations se succèdent sans jamais pouvoir voir ni même toucher les symboles de leur histoire. En effet, cette absence empoisonne la transmission. Les rites ne se pratiquent plus comme avant et beaucoup de mots s’éteignent. L’éducation et la recherche, elles aussi, s’assèchent peu à peu, comme l’explique la chercheuse Claire Bosc-Tiessé (analyse approfondie). C’est pourquoi chaque restitution d’une pièce compte bien davantage qu’un simple retour matériel : elle répare un lien invisible.
Patrimoine africain sacré hors d’Afrique
1. Les bronzes du Bénin: le pillage orchestré
En 1897, une expédition militaire britannique dévaste le royaume du Bénin. Des milliers de plaques et sculptures en bronze quittent l’Afrique pour Londres. Aujourd’hui, ces œuvres ornent les vitrines du British Museum. Pour beaucoup, elles perpétuent l’arrogance coloniale et ravivent la douleur du passé. Toutefois, une partie des bronzes revient au Bénin après plus d’un siècle (Le Monde).
2. Le trône du roi Ghézo: symbole arraché
Les troupes françaises saisissent le trône royal du Dahomey en 1894. Précieux et chargé d’histoire, ce siège exposé à Paris s’impose désormais comme un emblème du débat sur la restitution. Pour les descendants, il représente bien plus qu’un simple objet : il incarne la mémoire d’un règne et une relique irremplaçable (StreetPress).
3. Le sabre d’El-Hadj Oumar Tall: une lignée dépouillée
Le colonel Archinard s’empare en 1890 du sabre du chef résistant Oumar Tall. Cet objet miraculé traverse guerres et inventaires. Malgré les requêtes répétées, ses héritiers n’ont pas obtenu son retour. À chaque étape, la frustration et la blessure persistent.
4. La statue de la reine-mère Idia
Parmi les bronzes du Bénin, la tête d’Idia se distingue par sa puissance spirituelle et maternelle. Dérobée lors du même raid de 1897, elle symbolise l’efficacité d’un pillage méthodique. Aujourd’hui, son effigie inspire artistes et militants, prouvant qu’aucun chef-d’œuvre ne devrait être arraché à sa terre d’origine.
5. Le trésor d’Abomey
Ce trésor réunit trônes, sceptres et portes royales subtilisés au royaume d’Abomey. Longtemps ignorés dans les réserves françaises, ces objets font l’objet de restitutions partielles, jugées insuffisantes par de nombreuses communautés concernées (Le Monde).
6. Croix, bibles et manuscrits d’Éthiopie
En 1868, au cours de la bataille de Magdala, les troupes britanniques emportent une grande partie du trésor liturgique éthiopien : croix, manuscrits, bibles enluminées. Conservées au Royaume-Uni, ces reliques restent attendues par l’Église éthiopienne. Elles incarnent une foi déracinée (Le Monde).
7. Masques fang du Gabon: héritage volé, identité blessée
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des centaines de masques sacrés fang quittent le Gabon, acheminés par ethnologues et marchands.
Pour les communautés fang, chaque masque volé raconte la perte d’un rite, d’une famille et d’une spiritualité détruite (StreetPress).
Objets emblématiques dispersés
- Bronzes du Bénin – des centaines de plaques et têtes royales pillées en 1897, visibles pendant plus d’un siècle au British Museum, à Berlin, ou à New York.
- Trône royal du Dahomey (Bénin) – arraché en 1894 par les troupes françaises, il symbolise une spoliation culturelle et une revendication de retour >enquête
- Sabre d’El-Hadj Oumar Tall – objet de légende saisi en 1890, réclamé depuis des générations de Maliens et de Sénégalais >Le Monde
- Masques fang (Gabon) – chefs-d’œuvre cultuels dispersés entre les musées de Paris, de Berlin et de Bruxelles. À travers eux, c’est l’identité de communautés entières qui a été fragilisée.
- Trésor liturgique d’Éthiopie (Magdala) – croix, manuscrits et bibles, volés lors de la campagne britannique de 1868, toujours conservés à Londres et dans d’autres collections occidentales >National Geographic
- Récades (sceptres) royaux fon – emblèmes du Bénin, longtemps gardés dans des collections privées avant que certains ne réintègrent le pays >TV5Monde
- Crâne du chef Lusinga (Congo) – relique humaine détenue au Musée royal d’Afrique centrale en Belgique.
- Bijoux du trésor de Ségou – en majorité « perdus » dans les collections françaises après leur saisie lors des campagnes coloniales.
- Objets makombe, masques kota, statues bembé – trouvés dans différents musées occidentaux, loin des sociétés qui leur attribuent un rôle spirituel ou familial.
Sites archéologiques spoliés ou contrôlés hors d’Afrique
- Pyramides et plateau de Gizeh (Égypte) – de nombreuses statues, sarcophages et momies sont parties pour le British Museum, le Louvre ou le Metropolitan Museum.
- Ruines de Tipasa (Algérie) – certains objets ont été exposés hors d’Afrique lors d’expositions universelles et restent insérés dans des collections étrangères.
- Volubilis (Maroc), Timgad, Djémila, Kalâa des Béni Hammad (Algérie) – fragments, mosaïques, inscriptions présentés dans les musées européens.
- Sites royaux du Dahomey (Bénin) – au-delà des trônes et portes, des objets de culte ou de cérémonie restent hors continent, en attente de retour >Le Monde
- Groves sacrés d’Osun-Osogbo (Nigéria) – objets rituels collectionnés au fil du XXème siècle, certains jamais retournés.
- Site de Magdala (Éthiopie) – dépossédé de ses trésors en 1868, ses reliques religieuses attendent toujours la réconciliation.
- Trésors du royaume du Congo et du peuple sawa (Kinshasa, Douala, etc.) – nombreuses pièces majeures transférées vers Munich, Bruxelles, ou Paris.
Cette liste ne prétend pas être exhaustive. Elle démontre la diversité des pillages, et la douleur persistante de voir une mémoire précieuse conservée hors de son foyer originel, souvent sans espoir de retour.
Quand la spoliation vole l’âme et l’avenir de l’Afrique
Ce qui a été soustrait au continent africain dépasse de loin la simple perte d’objets d’art ou de patrimoine matériel. La confiscation de statues, masques et reliques a aussi ouvert la voie à une usurpation spirituelle. Hors de leur terre, ces symboles, jadis investis d’une énergie sacrée, deviennent décoration, source d’inspiration pour d’autres cultures, ou objets de convoitise sur le marché de l’art. Ils sont exposés, copiés, réinterprétés sans respecter la nature profonde de leurs principes rituels >récits d’enquête
Ainsi, le pillage ne conduit pas seulement à un silence ou à un vide psychosocial. Il provoque une destruction invisible mais systématique de la cohésion, du récit commun, du lien avec l’ancestralité. L’Afrique, jadis flamboyante par la puissance de ses empires, la profondeur de ses rites et la vitalité de ses villes, a été marquée dans sa chair mais aussi dans son âme >analyse universitaire
Réparer n’est pas seulement rendre les objets volés. C’est reconnaître la violence faite à l’imaginaire collectif des peuples, dénoncer l’exploitation et la dénaturation de leurs savoirs sacrés, retrouver le chemin d’une transmission digne et fidèle. Refuser l’amnésie, c’est admettre que la grandeur d’une civilisation ne se mesure ni en trophées ni en vitrines, mais dans la lumière qu’elle diffuse sur sa propre terre, par sa propre voix.
L’histoire reste ouverte. Chaque restitution, chaque reconnaissance, chaque mot partagé éclaire un peu plus le chemin du retour vers la lumière du patrimoine africain authentique.
Bibliographie sélective sur la restitution et le vol du patrimoine africain
- Bénédicte Savoy & Felwine Sarr, Restituer le patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle, Éd. Philippe Rey, 2018.
- Taina Tervonen, Les Otages : sur les traces des butins coloniaux au Soudan français, Éd. Marchialy, 2022.
- Kwame Opoku, Who Owns Africa’s Cultural Heritage?, various articles en ligne, 2011-2020.
- Sylvain Djache Nzefa, Le Retour du patrimoine africain : enjeux, acteurs, résistances, L’Harmattan, 2020.
- Emmanuel Pierrat, L’Art africain – volé, pillé, restitué, Éd. Gallimard, 2020.
- Collectif, Rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain, commandé par la Présidence française, 2018.
(Lire le rapport) - CNRS Le journal, Biens culturels en voie de restitution,
(article) - Le Monde (dossier « patrimoine africain ») :
Patrimoine africain : le droit de garde pourrait se substituer au droit de propriété - National Geographic, Les trésors de la discorde, article en ligne